La vertu de la marche de Christophe Lamoure
La marche est un milieu entre deux excès : ce qu’Aristote nomme « une vertu ». Elle se tient à égale distance de l’agitation, d’un côté, et de l’immobilisme, de l’autre. L’agité est toujours en retard de quelque chose. Il n’a pas le temps, il doit au contraire le rattraper. Il vit dans l’entre-deux et poursuit un présent qui, semble-t-il, n’a de cesse de le fuir. A se demander d’ailleurs, à l’écouter, si le présent existe ; en tout cas, s’il existe, pour lui, il n’existe pas assez. Quand vous croisez un agité, il vous récapitule tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il a à faire, avec l’air hagard de celui qui se sent pourchassé. Il vous quitte sans avoir pris la peine de s’enquérir de vous, de vos activités, de vos projets…Vous a-t-il seulement reconnu ? L’agité ne marche pas, il trépigne et gesticule.
Le prostré ne sait pas quoi faire. Il donne le sentiment d’avoir du temps plus qu’il n’en faut. Ce dont il manque, ce n’est pas tant de projet que d’envie et de détermination. Le conditionnel est son mode majeur : ce serait bien. Mais entre le conditionnel et le présent, il manque un relais, une pièce qui fasse la jointure et qui rende possible le passage à l’acte. Il est posé là, bien campé et tend à acquérir la belle stabilité du minéral. Il vous admire de réaliser des choses mais au fond de lui il est habité et presque gangrené par une seule question : à quoi bon ? Le prostré ne marche pas, il se traîne.
Tous nous connaissons des périodes d’agitation et de prostration et, à chaque fois, nous avons le sentiment d’être tenus par une force qui nous écrase. Quelque pas solitaires en forêt peuvent mener sur un sentier qui débouche sur un calme et une énergie retrouvés.(…)
Extrait de la Petite Philosophie du Marcheur de Christophe Lamoure (éd. Milan, coll. Pause Philo)