une histoire de Nasrudin: la récompense
Ce richard a perdu sa bourse, cinq cents dinars d’argent, en pièces d’un dinar. En plus, le bonhomme est avare, ongles longs et poches cousues.
Il erre çà et là, gémissant qu’il est mort, qu’Allah lui a mangé le foie et que le monde est un enfer. Il va même jusqu’à promettre (faut-il qu’il ait perdu l’esprit) cent pièces d’argent à celui qui lui ramènera son bien.
Et justement, tandis qu’il court, les yeux partout, sur le marché, voilà qu’un homme vient à lui, brandissant la bourse perdue, la main haut levée, tout rieur.
- Oh, merci, braille le grigou, béni sois-tu, oh, tu me sauves !
Il flaire sa bourse, il la baise, il rit, il pleure et réfléchit, vite fait, entre deux sanglots.
« Donner cent dinars à cet homme ? Hé, plutôt me crever un œil ! »
Il compte ses sous, les recompte et dit enfin à son sauveur :
- J’avais là six cents beaux dinars, j’en trouve cinq cents, tout est bien. Tu t’es servi, nous sommes quittes.
- Je n’ai rien pris, lui répond l’autre. Ma récompense, s’il te plait.
Le grigou nie, l’homme s’insurge, le ton monte, on s’empoigne au col. On va, le front haut, chez le juge. Et qui siège là, ces jours-ci ? Mullah Nasreddin en personne.
Il écoute les plaidoiries, puis médite un instant et dit :
- Le problème est simple, mes frères. Dans la bourse perdue étaient six cents dinars, si j’en crois monsieur à ma droite. Dans la bourse trouvée on en compte cinq cents. Donc la bourse trouvée n’est pas, à l’évidence, celle qui fut perdue. Toi, tu gardes tes cinq cents pièces. Toi, tu continues de chercher.
(Henri Gougaud, L’Almanach)