Marcher, éloge des chemins de la lenteur. David Le Breton
Échappée hors du temps ou dans un temps ralenti, la marche n’est pas une recherche de performance ou une quête de l’extrême sponsorisée par des marques commerciales, elle est un effort à la mesure des ressources propres du marcheur. (…) Le marcheur réinvente la flânerie, le fait de prendre son temps. Il ne va pas plus vite que son ombre. Milan Kundera regrette la disparition des flâneurs dans nos sociétés et il rappelle un proverbe tchèque à leur propos : «Ils contemplent les fenêtres du bon Dieu. » Un tel homme est « heureux. Dans notre monde, l’oisiveté s’est transformée en désœuvrement, ce qui est tout autre chose : le désœuvré est frustré, s’ennuie, est à la recherche constante du mouvement qui lui manque » (Kundera, 1995,12). Affirmation tranquille que le temps n’appartient qu’à soi. La marche déjoue les impératifs de vitesse, de rendement, d’efficacité, elle n’en a même rien à faire. Elle ne consiste pas à gagner du temps mais à le perdre avec élégance. (…) La frénésie de la vitesse, du rendement, appelle en réaction la volonté de ralentir, de calmer le jeu. La marche est une occupation pleine du temps, mais dans la lenteur. Elle est une résistance à ces impératifs du monde contemporain qui élaguent le goût de vivre.
David Le Breton. Marcher. Éloge des chemins de la lenteur